• Mon premier cours de théâtre

    J'arrive pile à l'heure à la grande enseigne, je traverse l'imposant portail, mais je n'ai aucune idée de l'endroit ou je dois me rendre. Toujours en retard, même lorsque je fait en sorte d'être à l'heure, je n'arrive pas à anticiper les imprévus. Ou plutôt, à les prendre en compte dans ma gestion du temps. Je me dirige donc intuitivement vers la salle dans laquelle j'avais réalisé mon inscription quelques semaines plus tôt. J'ouvre timidement la porte et mon regard traverse successivement les quatre personne présente dans la salle, trois femmes et un homme il me semble, tous entre trente et cinquante ans – bien plus âgés que moi. Deux d'entre eux sont allongés par terre sur la scène, les autres sont affalés sur les sièges du public. Cette vision donne l'image d'un groupe de lycéen. Je comprend tout de suite que ce n'est pas ma destination, mais je décide tout de même de demander de l'aide. L'une des femmes se lève et m'accompagne à travers le bâtiment pour m'indiquer les différentes salle  au sein desquelles mon cours est susceptible d'avoir lieu, ne sachant pas précisément ou il avait lieux.

    En me dirigeant vers l'une des salles suggérées, j'aperçois une jeune femme sortir de sa voiture, mon aînée d'une année tout au plus, vêtue d'une jupe, de collants et d'une paire de bottines à talons. Elle est très jolie, mais surtout, elle a l'air de savoir ou elle va, et je remarque qu'une autre fille de notre âge, un peu plus loin, marche aussi dans cette direction. Nous arrivons tous les 3 ensemble sans avoir vraiment échangés un mot, à l'exception d'un « Merci » lorsque je lui ai tenu la porte. La sincérité de son sourire valait bien plus qu'un mot. Nous entrons dans la salle avec quelques minutes de retard, mais tous ensemble, ce qui rend les choses bien plus facile. Huit autres étudiants sont déjà là, assis en arc de cercle. Un homme plus âgé est debout en train de parler. Je reconnais un visage parmi le groupe, une étudiante en psycho tout comme moi, je l'ai vue récemment, j'en suis convaincu, mais je n'arrive pas à me souvenir où. Nous nous sourions et je sais qu'elle m'a reconnu aussi. Je ne lui ai jamais adressé la parole, mais c'est une présence rassurante. Le professeur fais, quelques minutes plus tard, une remarque sur l'importance de la ponctualité, mais je ne penses pas que celle-ci soit dirigée vers notre léger retard. Il nous explique beaucoup de chose quant au programme de l'année, et à ma surprise, aucune présentations ne sont véritablement faites entre les différents étudiants présents. La première partie de l'année sera consacrée à des ateliers divers et variés, et le travail théâtral à proprement parler — sur une pièce — ne viendra que plus tard.

    Dès le premier atelier après l'échauffement, nous allons briser les murs de nos intimités respectives. Le groupe se divise en deux, 6 personnes debout face à face de chaque côté de la salle. Le prof demande à l'autre groupe de fermer les yeux, et nous, nous devons changer de place afin qu'ils ne sachent plus qui se trouve en face d'eux. J'ai envie de me placer face à l'autre étudiante de psycho, ou face à la fille du parking, mais elles étaient au milieu et je n’eus pas le temps. Je me retrouve donc sur le bord, face à une autre jeune fille probablement un peu plus âgée que moi. Je lui offre mes mains qu'elle commence à explorer des siennes, avant de venir caresser mon visage. J'ai toujours eu peur lorsque quelqu'un approchait un objet de mes yeux, mais pour une fois, je ne ressent rien de tout cela. Il y a quelque chose d'incroyable à partager une telle intimité avec une personne à qui je n'ai jamais adressé la parole. L'objectif est simple : chacun doit retrouver, en gardant les yeux fermés, son ou sa partenaire parmi les personnes présentes. Uniquement à l'aide de la texture de la peau. Je me dis qu'elle risque de me retrouver facilement avec la barbe et je souris. Je lui laisse le temps d'explorer mes mains et mon visage, et une fois retirée, m'ayant signalé d'un hochement de tête qu'elle était prête, je m'éloigne et vais me tenir debout au milieu de la salle en l'attendant. Avant elle, plusieurs personne passent puis repartent assez vite, remarquant qu'elles ne sont pas face à leur partenaire. La mienne me retrouve assez rapidement et me confirme que c'était plus facile avec la barbe.

    Ensuite, c'est à mon tour. Me voilà dans le noir. Une partie de moi est convaincue que je vais me retrouver face à l'autre étudiante en psycho avec qui j'ai échangé quelques sourires un instant plus tôt. Sans faire exprès, l'espace d'un instant à peine, je cligne des yeux et je la vois devant moi. Je m'en veux et je suis content à la fois. Elle m'offre ses mains et je suis émerveillé par leur douceur. C'est souvent le cas des mains de femmes, mais cette fois ci, j'ai l'impression que c'est encore plus. Difficile de dire si c'était véritablement le cas, ou si c'était simplement dû à mes yeux fermés. Les traits de son visage partagent cette douceur, et une fois de plus, je suis épaté par la facilité avec laquelle nous partageons ce moment normalement si intime alors que nous ne connaissons même pas nos prénoms respectif. Il y a quelque chose d'enivrant et sain à la fois. C'est une incroyable façon de rencontrer quelqu'un. Au cours de ma recherche, je tâte probablement les mains de toute les autres personnes du groupe. C'est tellement nouveau pour moi de découvrir mon sens du toucher de cette façon. C'est incroyable à quel point il est aisé de distinguer les mains d'une femme et les mains d'un homme. Il est un peu plus délicat de discerner les mains des femmes entre elles, mais au final, chaque texture est différente, douce à sa façon, et je finis par retrouver ma partenaire sans faire d'erreur et sans tricher. Nous sourions.


  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Mai 2018 à 13:46

    ça a l'air trop bien comme exercice !  

      • Lundi 28 Mai 2018 à 22:54

        C'est vrai que ça l'air PLUS que trop bien

      • Mercredi 30 Mai 2018 à 00:27

        Et ça l'était ! J'aimerais bien refaire quelque chose comme ça un de ces quatre. 

    2
    Mardi 29 Mai 2018 à 17:27

    Marrant le clignement des paupières - spoiler. J'ai bien aimé lire et imaginer, surtout le début ou tu cherches la salle ! (je suis moins touchée par les trucs du type "La sincérité de son sourire valait bien plus qu'un mot.") Par contre j'ai une question : ton regard qui traverse successivement quatre personnes, c'est quel calibre ?

      • Mercredi 30 Mai 2018 à 00:27

        C'est du 72mm à viseur laser infrarouge ! 

        Sinon, content que le texte ai pu te plaire. 

    3
    Jeudi 31 Mai 2018 à 14:36

    ça m'a pas mal angoissé de le lire et de l'imaginer, content que tu reviennes poster en tout cas !

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