• Un regard
    Un sourire
    Un rire
    Un rencard
    Un retard
    Un départ
    Une histoire
    Tuée dans l'oeuf 


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  •  Si on en croit ses développeurs Motion Twin, et à vrai dire toutes les personnes que j'ai vu essayer de résumer le jeu en quelques mots, Dead cells s'inspire des rogue like, des metroidvania et des souls like. Malheureusement il est terriblement mauvais à ces trois égards.

     Un metroidvania est un jeu de plateforme dans un monde à la carte labyrinthique qu'il faudra explorer. Le joueur est d'abord restreint dans cette exploration par les capacités limitées de son avatar, mais sera amené a développer de nouvelles capacités lui permettant de se battre ou de se déplacer différemment, qui lui permettront d'explorer de nouvelles zones, où il trouvera de nouvelles capacités, etc. Le joueur est ainsi plongé dans un environnement tout de suite très hostile, où il est d'abord beaucoup confronté à des obstacles infranchissables, qu'il sera amené à surmonter, tant mécaniquement (par l'acquisition de nouvelles capacités, mécaniques de jeu) que mentalement (par l'apprentissage des faiblesses des ennemis et la compréhension, zone après zone, de la carte). Ce sont des jeux qui parlent de l'inconnu, de la découverte, et de la capacité à s'approprier un environnement hostile.
     De ça Dead cells n'a gardé qu'une chose : les améliorations. Bon, voyons ça.
    La première capacité débloquée nous donne le pouvoir de faire pousser une vigne là où il n'y avait auparavant qu'un bosquet, qu'on pourra ensuite escalader pour atteindre un point en hauteur : ça ne sert que dans ce contexte là, et il n'y a de bosquet qu'avant certaines zones. C'est à dire que ça ne change rien à notre façon de se battre, et quant à nos déplacements ils sont autant affectés que si on nous avait simplement donné une clef nous permettant d'ouvrir un certain type de porte.
    Malheureusement c'est la même chose pour les autres améliorations : la troisième améliore notre attaque vers le bas (pour nous permettre de détruire certains sols bloquant l'accès à certaines zones) et la rend un peu plus avantageuse parce que plus puissante, mais le changement est si peu notable que j'ai dû regarder le wiki pour en avoir le cœur net -il aurait sans doute été plus satisfaisant de nous faire débloquer l'attaque, plutôt que de l'améliorer. La quatrième amélioration -un wall jump- change nos déplacements mais pas de manière significative parce que les niveaux ne sont que très rarement propices à son utilisation -à part, encore une fois, avant certaines zones : des clefs toujours.

      Le paragraphe sur les rogue-like est plus facile à écrire parce qu'un convention de 2008 a définis précisément les critères d'appartenance à ce genre, je copie-colle avec juste quelques modifications :
     1)Les rogue-like sont des jeux vidéo de rôle solos qui se jouent au tour par tour.
    2) a.L'univers labyrinthique du jeu se présente sous la forme d'un damier dont chaque case correspond à un symbole ASCII. Ces symboles représentent le sol, les murs, portes et escaliers, ainsi que les objets et les êtres vivants.
       b.Cet univers doit être généré aléatoirement à chaque début de partie : la disposition des différentes pièces, ainsi que l'emplacement des objets et des ennemis est choisie au hasard.
    3)Le joueur incarne un unique héros qui progresse à l'intérieur d'un donjon qu'il doit explorer, dans lequel il affronte une panoplie de monstres qu'il doit combattre et tuer. Le personnage joué est en partie décrit par des nombres (comme les points de vie ou les attributs) qui sont délibérément montrés au joueur. Les adversaires sont similaires au personnage dans le sens où ils sont soumis aux mêmes règles.
    4)Le jeu doit avoir une grande complexité, liée aux multiples interactions possibles entre les actions du joueur, les objets et les monstres.
    5)La gestion des objets est au cœur du jeu. Certaines ressources, comme la nourriture ou les objets de soin, sont capitales pour ne pas mourir. Le joueur doit découvrir seul l'utilité des différents objets qui se trouvent sur son chemin.
    6)Le jeu doit être punitif. L'échec doit mener à la mort permanente du personnage.
    7)Le jeu ne doit pas être modal. Chaque action doit être disponible à tout moment.
     Les rogue like modernes plus laxistes gardent en général les points 2b, 4, 5 et 6, et sont appelés plus spécifiquement rogue lite ou PDL pour procedural death labyrinth : il s'agit donc surtout de se repérer dans le monde et les règles du jeu, pour espérer survivre.
     Les niveaux de dead cells sont générés aléatoirement mais ne sont certainement pas labyrinthiques, les objets et les règles sont explicités et ne s'appliquent pas de la même façon au joueur et aux ennemis, et la mort ne fait pas à proprement parler reprendre au début car on débloque, au fur et à mesure mais pour toujours, des objets plus puissant ou des améliorations de santé de fait assez essentielles pour survivre.
    Voilà.

      Les souls  like (le nom vient des jeux Dark Souls et de leurs émules) sont des jeux de combat/aventure dans un monde à la carte labyrinthique. On est cette fois restreint dans notre exploration surtout par des portes ne s'ouvrant que d'un coté ou d'autres formes de raccourcis à débloquer. Et, bien sûr, par les ennemis, souvent très coriaces ; on est donc régulièrement amenés à revenir en arrière, soit pour affronter un ennemi jusqu'alors trop fort pour nous, soit par le biais d'un passage enfin débloqué. L'environnement est ouvertement hostile, bourré de pièges et d'embuscades qu'il faudra apprendre à reconnaître et à éviter pour avancer ; ce principe s'observe aussi avec les ennemis et les boss, et une session de Dark Souls peut se résumer en une répétition du cycle exploration -> découverte -> observation -> esquive (et éventuellement contre attaque). Bien sûr chacune de ces étapes peut être mortelle. 
      Le monde de Dark souls est ouvertement hostile, donc, en ce sens que le jeu ne cherche pas à nous cacher le fait qu'il est construit pour nous nuire ; encore une fois ce principe s'étend plus loin et se ressens dans beaucoup d'aspects du jeu, comme les statistiques de notre personnage ou l'histoire qui sont volontairement obscures ; l'ennemi principal et premier du jeu, c'est le jeu lui même : le jeu se refuse à l'exploration, et c'est justement pour ça qu'il est si agréable de l'explorer (mais n'allez pas dire que je fait l'apologie du viol svp).
      Bon qu'est-ce que Dead cells garde de tout ça ? 
    Rien.
     La similitude c'est que le héros peut faire une roulade d'esquive et parer les attaques... Et éventuellement la difficulté ? Honnêtement je vois rien d'autre.

     

     Alors, pourquoi Dead Cells est il si mauvais, ou en tout cas si superficiel, dans son approche de ces trois genres ? 
     J'ai d'abord pensé que c'était simplement que ces styles étaient trop incompatibles pour donner de bons mélanges, mais ça me semble finalement un peu trop simple, et sans doute naïf : j'ai certes un peu forcé le trait dans ce sens, mais ces trois genres ont de gros points points communs que Dead cells ne développe pas du tout ! Des points communs d'ailleurs tellement gros qu'on peut sentir des inspirations des autres genres dans certains jeux, comme Hollow knight, un métroidvania qui a une approche très Soulsesque du combat, de la narration et de la gestion de la mort... ou plus indirectement dans Spelunky, un rogue like dont certains items permettent l'accès à de nouvelles zones, tout en ayant une importance décisive sur notre façon de se battre, d'explorer ou de se déplacer. Sans se réclamer de ces genres, ce sont de bien meilleurs souls-like et métroidaviania respectivement que Dead Cells.
     On peut d'ailleurs imaginer sans trop de difficulté un jeu dans un labyrinthe procédural aux règles obscures, où il faudrait acquérir de nouvelles capacités en chemin. L'obstacle principal à la réalisation de ce jeu serait sans doute la génération procédurale des niveaux, parce que les mécaniques de progression et de mise en scène des métroidvania et des souls like sont très liées à l'architecture des mondes dans lesquels on évolue, le backtracking (l'action, dans un jeu, de revenir sur ses pas) y étant central : on est reconfronté à une zone déjà visitée pour y constater un changement, soit de la zone elle même, soit de notre personnage ou nous même, devenus plus forts -parfois, dans les meilleurs des cas, les trois à la fois. Mais les agencements des mondes des métroidvania sont, bien qu'étant toujours complexes, assez faciles à généraliser : une zone centrale depuis laquelle on peut accéder à plusieurs zones dont on se rend vite compte qu'une seule est vraiment accessible à notre niveau, mais dans laquelle on va trouver de quoi accéder à d'autres zones, où le processus se répète.
    Bon donc si ce jeu mélange de métroidvania souls like et rogue like a l'air intéressant et faisable, pourquoi est ce que Motion Twin l'as pas fait ? 
     La réponse est finalement encore plus simple : ils n'ont pas essayé.

    Et là je suis un peu embêté, parce que je me rends compte que je parle, depuis un certain temps maintenant, d'un jeu qui n'existe pas : si Dead cells n'est pas un bon souls like rogue like metroidvania, c'est tout simplement parce qu'il n'est pas un souls like rogue like metroidvania.
     J'aimerais bien parler enfin de Dead cells du coup, mais j'ai un autre problème : je sais pas trop ce qu'il essaie de faire.
     Il y a bien une histoire dans dead cells, mais elle est très classique et le jeu lui même n'a pas l'air de la prendre très au sérieux, le héro dénigrant régulièrement les scènes sensées être tragiques sur lesquelles on tombe -sans par ailleurs jamais arriver à être drôle. Mais encore une fois, je ne crois pas qu'il essaie vraiment. Voilà, bizarrement ça représente assez bien ce que fait Dead cells : il prétends être sombre et donc a de fait un lore tragique, à base de maladie et de génocide, mais finit par s'en foutre complètement, comme les éléments du métroidvania qui sont là mais pas exploités ; comme si Motion Twin voulait pouvoir dire  que leur jeux est sombre, mais pas avoir à en faire et en vendre un : ils voulaient juste faire un jeu fun.

    Malheureusement là aussi je trouve que ça pêche, en tout cas je ne m'amuse pas en y jouant.
    La raison en est très simple : Dead cells offre quelques possibilités d'approche, en nous fournissant des armes aux gameplays assez variés : on a les armes de corps à corps, qui font très mal mais sont risquées d'utilisation; les boucliers, qui permettent de parer une attaque déstabilisant ainsi l'ennemi pour l'attaquer ensuite avec une arme ; les arcs, moins violents mais moins risqués ; les tourelles défensives qui tuent tous les ennemis à notre place sans aucun risque... 
     Ok, j’exagère un peu, mais il devient assez vite évident qu'une configuration tourelle plus arc est le choix qui nous emmènera le plus loin dans le jeu, mais c'est aussi le choix le plus long et le moins fun, puisqu'on a à peine à regarder les ennemis pour les tuer. Il est un peu amusant au début de découvrir ce combo, qui donne un peu l'impression d'avoir cassé le jeu comme avec des mods, mais ça disparaît très vite. Bien sûr dans la plupart des rogue like il existe des objets ou des combos plus forts que d'autre, mais ils sont rares ; là il y a tellement d'objets sur notre chemin qu'on est sûrs d'avoir une configuration similaire au bout de deux niveau, maximum. Il faut dire aussi que les ennemis sont très peu réactifs aux attaques à distance, la grande majorité d'entre eux ne sachant pas quitter la plateforme qu'ils occupent -et ceux qui le savent ne le font qu'en se téléportant ou en volant en ligne droite, il n'y a donc jamais à anticiper une trajectoire, ce qui pourrait à la limite rendre les attaques à distance plus compliquées. 
     La présence de cette stratégie optimale est d'autant plus dommageable que les attaques de mêlée ont visiblement bénéficié de beaucoup plus d'attention, chaque arme ayant ses propres animations et intérêts. Il aurait alors sans doute fallu forcer le joueur à varier son expérience en limitant les choix d'objets ou en instaurant un système de munitions ou d'usure le forçant à se séparer de ses objets ou à les utiliser à meilleur escient.
     Alors peut être faudrait il qu'en tant que joueur je me force à utiliser d'autres stratégies ? C'est un argument discutable en soit, mais j'ai essayé.
    La configuration arme de mêlée + bouclier me semble être la plus intéressante, puisque c'est le seul couple qui fonctionne vraiment en tant que tel, pas juste en alternance de l'un et de l'autre. On se retrouve donc à devoir vraiment aller au contact des ennemis pour les tuer, et donc à les observer d'un peu plus près : ils sont relativement variés, curieusement très moches alors que les environnement sont assez beau, je suppose que c'est juste une question de goût mais je trouve le décalage curieux. Leurs animations sont bien faites et à part pour quelques attaques de boss on sait facilement comment les contrer ou à quel moment parer. Il y a malgré ça trois gros problèmes à ce système de combat.
      Le premier concerne la parade, et le problème tient en deux choses : le nombre d'ennemis et l'absence d'une troisième dimension. Il y a parfois beaucoup d'ennemis sur une même plateforme et quand ils attaquent c'est pas tous en même temps, il faut donc les parer à tour de rôle, mais le temps de parer le dernier, le premier n'est plus étourdi par notre parade et nous attaque à nouveau ! c'est pas complètement sans fin, parce que la parade elle même fait quelques dégâts, mais c'est long et très fastidieux. Dans un jeu en 3D (comme Dark souls) le problème ne se pose pas en ces termes parce que les ennemis ne peuvent pas attaquer du même endroit, mais là comme on arrive sur un des deux bouts d'une plateforme unidimensionnelle, les ennemis qui nous attaquent s'agglutinent tous du même côté. Et on ne peut pas essayer de séparer leur groupe en en attirant un bout quelque part, parce qu'ils ne savent pas quitter leur plateforme...
     Le deuxième problème concerne un point crucial du système de combat, le stun. En gros, frapper un ennemi peut l'étourdir, ce qui permet bien sûr de le frapper encore plus, mais surtout de ne pas avoir à esquiver ses attaques. Si un ennemi prépare une attaque, le frapper et donc la meilleure stratégie si ça le stun, et la pire sinon, puisque ça laisse le joueur vulnérable à son attaque. Dans Dark Souls, qui utilisait ce principe, c'est un peu obscur mais assez facilement trouvable en testant : en gros si un coup avec une arme stun un ennemi, il le stunera à peu près quelle que soit la circonstance ; il est possible, au cours d'un même combat, de tester une attaque à un moment sûr, de voir qu'elle stun, puis de l'utiliser plus tard pour stunner. Dans Dead cells par contre une attaque peut stunner dans certaines circonstances et pas dans d'autres, en fonction de l'animation de l'ennemi, sa vie et combien de coups il a reçu. C'est à dire qu'un coup qui stunnait un ennemi quelques secondes plus tôt peut laisser complètement indifférent le même ennemi lors de son attaque. Même en gardant la même arme sur quelques niveaux et en infligeant rigoureusement les mêmes coups au même type d'ennemi, il ne réagira pas de la même façon car ses statistiques de stun dépendent notamment du niveau dans lequel ils sont. Le wiki, qui m'a renseigné pour ce paragraphe, a été écrit grâce au code du jeu, pas en observant empiriquement les réactions des ennemis, allez y jeter un œil vous verrez que c'est ridicule. Enfin bref, si le stun peut être une dimension stratégique intéressante, là il est source de confusion et de frustration.
     Le troisième problème est plus grave : les armes provoquent souvent des effets de zone et rendent rapidement l'action illisible.
    Ces trois gros défauts rendent vite le combat au corps à corps d'autant plus frustrant qu'on se force à l'utiliser pour essayer de s'amuser.
    Et on n'y arrive pas trop.

     Voilà, je trouvais intéressant pour commencer ce que j'espère être un cycle de critique de parler d'un jeu qui ne dit pas ce qu'il est, parce que la question du genre me semble essentielle pour la critique : on ne peut pas juger un jeu d'action comme un jeu d'enigme, etc..
     Je pense qu'il y a surtout du marketing derrière le fait de ne pas faire un metroidvania souls like rogue like ; c'est trois genres juste assez obscurs pour intriguer et éveiller un sentiment de supériorité de connaisseur, et assez mainstream pour attirer du chalant. Mais le chalant n'a pas vraiment envie de se perdre dans un jeu, alors on fait un truc fun, avec des animations soignées et des effets de zone stylés. Mais pour être honnête je n'y aurais probablement pas joué sinon.


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  • Rondo Alla Turca

     

    Doigt par doigt, note par note : péniblement, une première tentative. Assemblage dissonant. Je conscientise les déplacements de chaque doigt, et je me dit que c’est impossible, même lentement c’est trop dur, et en plus en vrai ça va beaucoup trop vite ! 

    J’essaie une fois de plus, deux fois, trois fois, et cette impression persiste, se renforce à chaque tentative. Impossible. Il faut avoir fait ça depuis ses 6 ans pour y arriver.
    Alors j’arrête, je joues des morceaux plus simple, déjà connus. Puis je réessaie, une dernière fois avant de refermer le piano. Ca semble plus simple. L’envie revient. Le lendemain, j’essaie à nouveau. Et le lendemain du lendemain, et le jour d’après aussi, encore et encore. Je commence à reconnaître la mélodie. A entendre mon père chantonner au dîner, tulululu ; tulululu ; tulululu-tututututututa, et ça me fais sourire. Bientôt, mes doigts flottent de notes en notes sans que l’esprit ne puisse plus rien contrôler, et si l’envie lui prend d’essayer, alors tout s’arrête. Trop rapide pour la conscience, mais pas pour le corps !

     

    J’essaie d’y ajouter la deuxième main. Impossible… pour l’instant !


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  • J'arrive pile à l'heure à la grande enseigne, je traverse l'imposant portail, mais je n'ai aucune idée de l'endroit ou je dois me rendre. Toujours en retard, même lorsque je fait en sorte d'être à l'heure, je n'arrive pas à anticiper les imprévus. Ou plutôt, à les prendre en compte dans ma gestion du temps. Je me dirige donc intuitivement vers la salle dans laquelle j'avais réalisé mon inscription quelques semaines plus tôt. J'ouvre timidement la porte et mon regard traverse successivement les quatre personne présente dans la salle, trois femmes et un homme il me semble, tous entre trente et cinquante ans – bien plus âgés que moi. Deux d'entre eux sont allongés par terre sur la scène, les autres sont affalés sur les sièges du public. Cette vision donne l'image d'un groupe de lycéen. Je comprend tout de suite que ce n'est pas ma destination, mais je décide tout de même de demander de l'aide. L'une des femmes se lève et m'accompagne à travers le bâtiment pour m'indiquer les différentes salle  au sein desquelles mon cours est susceptible d'avoir lieu, ne sachant pas précisément ou il avait lieux.

    En me dirigeant vers l'une des salles suggérées, j'aperçois une jeune femme sortir de sa voiture, mon aînée d'une année tout au plus, vêtue d'une jupe, de collants et d'une paire de bottines à talons. Elle est très jolie, mais surtout, elle a l'air de savoir ou elle va, et je remarque qu'une autre fille de notre âge, un peu plus loin, marche aussi dans cette direction. Nous arrivons tous les 3 ensemble sans avoir vraiment échangés un mot, à l'exception d'un « Merci » lorsque je lui ai tenu la porte. La sincérité de son sourire valait bien plus qu'un mot. Nous entrons dans la salle avec quelques minutes de retard, mais tous ensemble, ce qui rend les choses bien plus facile. Huit autres étudiants sont déjà là, assis en arc de cercle. Un homme plus âgé est debout en train de parler. Je reconnais un visage parmi le groupe, une étudiante en psycho tout comme moi, je l'ai vue récemment, j'en suis convaincu, mais je n'arrive pas à me souvenir où. Nous nous sourions et je sais qu'elle m'a reconnu aussi. Je ne lui ai jamais adressé la parole, mais c'est une présence rassurante. Le professeur fais, quelques minutes plus tard, une remarque sur l'importance de la ponctualité, mais je ne penses pas que celle-ci soit dirigée vers notre léger retard. Il nous explique beaucoup de chose quant au programme de l'année, et à ma surprise, aucune présentations ne sont véritablement faites entre les différents étudiants présents. La première partie de l'année sera consacrée à des ateliers divers et variés, et le travail théâtral à proprement parler — sur une pièce — ne viendra que plus tard.

    Dès le premier atelier après l'échauffement, nous allons briser les murs de nos intimités respectives. Le groupe se divise en deux, 6 personnes debout face à face de chaque côté de la salle. Le prof demande à l'autre groupe de fermer les yeux, et nous, nous devons changer de place afin qu'ils ne sachent plus qui se trouve en face d'eux. J'ai envie de me placer face à l'autre étudiante de psycho, ou face à la fille du parking, mais elles étaient au milieu et je n’eus pas le temps. Je me retrouve donc sur le bord, face à une autre jeune fille probablement un peu plus âgée que moi. Je lui offre mes mains qu'elle commence à explorer des siennes, avant de venir caresser mon visage. J'ai toujours eu peur lorsque quelqu'un approchait un objet de mes yeux, mais pour une fois, je ne ressent rien de tout cela. Il y a quelque chose d'incroyable à partager une telle intimité avec une personne à qui je n'ai jamais adressé la parole. L'objectif est simple : chacun doit retrouver, en gardant les yeux fermés, son ou sa partenaire parmi les personnes présentes. Uniquement à l'aide de la texture de la peau. Je me dis qu'elle risque de me retrouver facilement avec la barbe et je souris. Je lui laisse le temps d'explorer mes mains et mon visage, et une fois retirée, m'ayant signalé d'un hochement de tête qu'elle était prête, je m'éloigne et vais me tenir debout au milieu de la salle en l'attendant. Avant elle, plusieurs personne passent puis repartent assez vite, remarquant qu'elles ne sont pas face à leur partenaire. La mienne me retrouve assez rapidement et me confirme que c'était plus facile avec la barbe.

    Ensuite, c'est à mon tour. Me voilà dans le noir. Une partie de moi est convaincue que je vais me retrouver face à l'autre étudiante en psycho avec qui j'ai échangé quelques sourires un instant plus tôt. Sans faire exprès, l'espace d'un instant à peine, je cligne des yeux et je la vois devant moi. Je m'en veux et je suis content à la fois. Elle m'offre ses mains et je suis émerveillé par leur douceur. C'est souvent le cas des mains de femmes, mais cette fois ci, j'ai l'impression que c'est encore plus. Difficile de dire si c'était véritablement le cas, ou si c'était simplement dû à mes yeux fermés. Les traits de son visage partagent cette douceur, et une fois de plus, je suis épaté par la facilité avec laquelle nous partageons ce moment normalement si intime alors que nous ne connaissons même pas nos prénoms respectif. Il y a quelque chose d'enivrant et sain à la fois. C'est une incroyable façon de rencontrer quelqu'un. Au cours de ma recherche, je tâte probablement les mains de toute les autres personnes du groupe. C'est tellement nouveau pour moi de découvrir mon sens du toucher de cette façon. C'est incroyable à quel point il est aisé de distinguer les mains d'une femme et les mains d'un homme. Il est un peu plus délicat de discerner les mains des femmes entre elles, mais au final, chaque texture est différente, douce à sa façon, et je finis par retrouver ma partenaire sans faire d'erreur et sans tricher. Nous sourions.


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  •  J'aime pas trop ma mémoire, principalement parce qu'elle est très évènementielle ; je me souviens d'un truc précis, du lieu exact où il a eu lieu, de l'odeur qui s'en dégageait, mais assez mal du contexte et surtout pas de mon quotidien d'alors, qui me semblent pourtant plus révélateurs de ma vie et de moi même. Je cherchais un moyen d'y remédier quand je me suis rappelé avoir entendu dire que beaucoup d'adultes américains se souviennent très précisément de ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001, et particulièrement du moment exact où ils ont entendu la nouvelle des attentats. C'est à dire qu'ils se souviennent d'un moment de leur vie pourtant pas par eux même conçu pour faire date ; ils n'y ont pas pris de décisions, de résolution ou de drogue, n'y ont pas eu de sursaut, d'enfant ou de révélation ; ils courraient au bureau, en retard à cause d'un réveil défectueux ; ils achetais une pâtisserie pour surprendre une amie ; ils trainassaient au lit, regardant la télé en attendant que la journée passe et s'en aille. Mais le souvenir est resté. 
     Je me fous un peu du 11 septembre, mais je trouve très belle cette cristallisation d'un quotidien, ce moment inutile à jamais conservé. J'aimerais bien recréer quelque chose de similaire, à mon échelle et sans faire péter d'immeubles.
     Je propose donc une journée banale et pas fériée, où on vit comme on en a l'habitude, sans résolutions, prières, cadeaux ou chasses au trésor, mais dont on se souviens pour ce qu'elle est : une brique de rien du mur sur lequel on pose les affiches dont on prétends qu'elles sont notre vie. Une journée qu'on organise pas, qui tombe à peu près tout les trois mois, par surprise et pas à heure fixe, et qui en profite pour nous rappeler toutes les journées précédentes, cristallisées de la même façon, moins bien qu'au 11 septembre sans doute, mais enfin on fait ce qu'on peut.


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